Il est difficile de résumer six siècles d’histoire d’une société qui a marqué la Savoie et la ville de Chambéry et qui continue à assurer sa pérennité avec des installations de haut niveau inégalées sur tout le Sud Est et des tireurs présents à tous les niveaux de compétition.

L’ancienneté des tireurs en Savoie remonte au XII° siècle selon Angélo Angélucci « il tiro al segno in Aosta dal XII al XIX secolo ».

L’arbalète avait été interdite quelques temps par le pape comme arme diabolique depuis qu’au XII° siècle un carreau savoyard tua le Dauphin Guigues qui assiégeait Montmélian. Son gendre Amédée III, vraisemblablement très culpabilisé partit en croisade et depuis la Maison de Savoie prit pour emblème la croix blanche.

Sous le nom de compagnons les tireurs furent composés à partir du XIV° siècle de bourgeois s’adonnant au jeu d’armes par plaisir, et si le besoin était, pour défendre la ville de Chambéry. Les arbalétriers d’alors s’exerçaient sous la tour du Bercel qui signifie tir en langue savoisienne et qui a donné son nom au corps des Bersaglieri qui d’ailleurs reprirent le chapeau à plume de la brigade de Savoie.

1382 est une date qui intrigue, elle figure sur plusieurs emblèmes de notre société. En fait il s’agit de la connaissance par les textes d’un premier roi des tireurs de Savoie. Dans les comptes de perception du droit de Toisage à Chambéry en 1382 figure un Tierric Clément « rex tyrandorum Sabaudiae » roi des tireurs de Savoie. Il habitait ainsi qu’en témoigne le document place St Léger du côté de l’horloge.

Les Compagnies de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse comme dans d’autres villes d’Europe avaient chaque année un concours l’été, attirant les foules et source de divertissement : le tireur le plus adroit était désigné roi du tir pour l’année. Après la participation des Chevaliers Tireurs de Chambéry à la défense de la ville contre le turbulent comte de la Chambre, les services rendus aux Ducs de Savoie furent reconnus.

Un ecclésiastique, Dom Philipe Mallet, tireur très adroit qui avait été en 1499 en même temps roi des archers et roi des arbalétriers, rédigea les statuts de la société. Ces statuts en 24 chapitres sont d’inspiration médiévale et furent confirmés en 1509 par lettres patentes du Duc de Savoie Charles III accordant droits et privilèges aux rois du tir. Bien que les Chevaliers tireurs prirent part à la défense de Chambéry contre François I°, ce dernier ne pût que confirmer nos lettres patentes en 1541.

Les princes de Savoie qui se succédèrent confirmèrent nos franchises et ajoutèrent des prix à nos concours : ainsi en 1626 Charles Emmanuel I° confirma l’exemption de toute charge publique et imposition au roi du tir, de même qu’à son père et à ses frères, il fonda un prix franc appelé « Prix de son Altesse » Dotation de 100 ducatons au roi des arquebusiers de Chambéry.

Je voudrais maintenant parler des deux principaux actes de patriotisme des chevaliers Tireurs de Chambéry et des périodes où ils subirent une brève l imitation ou interruption de leurs activités. Chaque fois que la liberté du peuple savoyard fut compromise par l’intrusion de troupes étrangères les tireurs mirent leur art au service de leur patrie.

Le premier épisode est l’envahissement de la Savoie par Louis XIV en 1690. Plusieurs arquebusiers (les archers et arbalétriers avaient déjà disparu) rejoignirent la forteresse de Montmélian. C’est dix-neuf mois d’épreuves que subirent ces volontaires dont parle le « journal du siège ». Les sieurs Peitavin, Farfin, Petit Noiret, Perret, Dufour, Chardon, Bertier, Miège, Girard, Roland, De sales, De beaufort, De la Mante, Claude de Buffet roi du tir en 1672 et commissaire général de l’Artillerie en Savoie. Louis XIV et Cantinat perdirent environ 7000 hommes face à cette poignée de savoyards qui, quelques années auparavant, paradaient à Chambéry (voire gravure de 1687) et qui maintenant ne pensaient qu’à ajuster précisément leur tir pour économiser leur poudre et leurs balles sans souci de leur vie qu’ils ont donnée pour la plupart à leur patrie. Le 21 décembre 1691 la capitulation étant inéluctable, la garnison de Montmélian pouvait sortir « tambour battant, mèches allumées, la balle en bouche et drapeaux déployés ». En fait pour ces 244 hommes dont la moitié étaient malades ou blessés, « il fallut qu’en sortant, les Français eussent la charité de les soutenir dans les mauvais pas de la brèche ».

Le second acte patriotique des tireurs dont je veux parler eut lieu les 18 et 19 décembre 1742 lorsque les espagnols reprirent l’attaque de la région de Chambéry que les troupes du roi Charles Emmanuel III n’étaient plus en mesure de défendre. Les Chevaliers Tireurs avaient été envoyés au château d’Apremont au nombre d’une trentaine de chambériens auxquels s’étaient adjoints des Chevaliers Tireurs de Rumilly. Ils constituèrent un îlot de résistance, probablement le seul en terre savoyarde durant cette pénible occupation. Ce fût une des rares périodes durant laquelle les tireurs de l’arquebuse ne s’assemblèrent pas.

Apres ces sept années d’occupation, les tirs reprirent, la Compagnie se réorganisa progressivement. Mais après l’invasion française de 1792 un arrêt du conseil général du « département du Mont Blanc » ordonna en 1793 la suppression des corporations et des confréries.

Il fallut attendre 1824 pour voir la reconstitution de presque toutes les Compagnies de tir de l’ancien Duché de Savoie. La renaissance savoyarde fut soutenue par le pouvoir jusqu’en 1860. Les tirs anciens se pratiquaient à nouveau avec des armes de précision.

Apres l’annexion, pratiquement toutes les sociétés de tir savoyardes disparurent. Seule la Compagnie des Chevaliers Tireurs de Chambéry pu continuer son activité.

Le stand de l’époque romantique dura jusqu’en 1972. C’est alors que l’équipe du président Chappaz, commandant la Compagnie, pu faire construire un nouveau stand à Saint Baldoph, suffisamment moderne pour qu’aient lieu en 1973 les Championnats de France.

Le président actuel Henry Perret a délégué à un club sportif (le club des Chevaliers Tireurs de Chambéry) la pratique du tir de loisir et de compétition. La Compagnie se réserve la promotion du tir sous toutes ses formes ainsi que la pérennisation des traditions héritées des ancêtres tireurs savoyards.